À chaque rentrée, les enseignant.es des collèges et des lycées rencontrent leurs nouveaux élèves. Après un temps d’adaptation, chacune et chacun en échangeant avec les collègues, mais aussi avec les autres professionnel
les de l’école repère les élèves en grande difficulté scolaire. Identifier les élèves, les comprendre, et y répondre demande du temps et des ressources dont l’organisation du travail réduit d’année en année la disponibilité. Les collègues du premier et du second degré nous alertent régulièrement sur la multiplicité des profils des élèves dans leur classe et les situations d’impasse dans lesquelles elles et ils sont confronté es face à la difficulté scolaire. Comment, aujourd’hui, permettre à chaque élève de progresser et de trouver au sein de l’école un parcours de réussite et ne pas décrocher ?L’augmentation des difficultés scolaires : état des lieux
L’augmentation du nombre d’élèves en grande difficulté scolaire en France est un phénomène complexe.
Selon le rapport du CNESCO (Conseil National d’Évaluation du Système Scolaire) en 2020, près de 20 % des élèves rencontrent des difficultés scolaires importantes, et cette proportion varie en fonction du milieu socio-économique. Les élèves issus de milieux défavorisés sont particulièrement touchés, ce qui renforce les inégalités scolaires. Depuis 2017, les enseignements secondaire et supérieur ont connu des réformes majeures ( collège, Bac Blanquer, diminution des heures d’enseignement général en LP, sélection via Parcoursup … ) . À chaque projet de réforme, le SNES-FSU a alerté le ministère des conséquences délétères sur le parcours de réussite pour les élèves et le risque de fragiliser encore plus les élèves les plus en difficulté. Ces réformes, selon le sociologue Pierre Merle « sont susceptibles de renforcer les inégalités sociales d’accès aux filières sélectives et à l’enseignement supérieur. À terme, elles risquent de stopper, voire d’inverser, la réduction des inégalités scolaires observée au cours du dernier quart de siècle ». Pour le chercheur Jean-Yves Rochex, les enfants des milieux populaires ont des compétences linguistiques et culturelles moins développées, ce qui entrave leur compréhension des enseignements dispensés à l’école. L’école doit donc être le lieu où sont dispensées toutes les disciplines sans minorer les disciplines culturelles et artistiques. Le SNES-FSU défend le maintien des heures et des postes pour assurer l’ensemble des disciplines au collège et au lycée.
Par ailleurs, un autre facteur a eu un impact sur l’augmentation des difficultés scolaires : la crise sanitaire liée à la COVID-19. Selon un rapport du CNESCO en 2021, la pandémie a exacerbé les inégalités scolaires, en particulier pour les élèves déjà fragilisés par des conditions sociales difficiles.
L’impact de la difficulté scolaire
L’école, malgré ces nombreuses prescriptions, peine à réduire les inégalités qui ne reflètent pas la diversité des aptitudes, mais sont le fruit d’une construction sociale. Celle-ci se réfère à un capital culturel en reprenant les travaux de Bourdieu et Passeron dès les années 70 et à des pratiques de sélection et d’orientation (Payet, 1995 ; Gremion, 2012 ; Hofstetter, 2017).
L’augmentation des difficultés scolaires ne se limite pas seulement à des retards d’apprentissage à court terme. Elle a des conséquences à long terme sur les trajectoires scolaires des élèves. Les enfants qui rencontrent des difficultés dès le primaire ont moins de chances de réussir au collège et au lycée, ce qui limite leur accès à des parcours de formation qualifiants et les expose davantage au décrochage scolaire. La notion de difficulté est complexe. La politique actuelle en matière d’adaptation scolaire et de scolarisation des élèves handicapés prévoit désormais de mettre en place « une logique de parcours accompagnés selon les besoins des élèves de mesures adaptées, variables par leur nature et leur intensité » (circulaire 2002-111 ). » L’école inclusive accueille de plus en plus d’élèves en situation de handicap. Dans notre académie, à la rentrée 2023, plus de 20 000 élèves en situation de handicap sont scolarisés dans nos classes. Le manque de moyens humains ne fait que dégrader les conditions d’enseignement et de prise en charge des élèves à besoins éducatifs particuliers. Une augmentation des risques psychosociaux pour les collègues face à la multitude des situations complexes à gérer au quotidien est observée au sein de l’académie.
Comment, dans de telles conditions, faire réussir tous les élèves ?
Bien que convaincu.es de la nécessité d’accorder une attention particulière aux élèves en grande difficulté, les enseignant.es, les Psy-ÉN, les CPE … à qui incombent la responsabilité de mettre en place la première forme d’aide, apparaissent beaucoup plus démunis quant aux moyens à mettre en œuvre pour prendre en compte cette difficulté.
Face à la difficulté scolaire, l’orientation vers la voie professionnelle est souvent préconisée. Dans l’académie, on observe une demande plus importante des élèves et des familles vers la voie professionnelle. Mais la pénurie de places en voie professionnelle, surtout dans en Ille-et-Vilaine, ne fait qu’accroître les inégalités d’accès vers des parcours de formation choisis pour les élèves les plus fragiles. En effet, chaque année en juin, après le premier tour d’Affelnet, des centaines d’élèves se retrouvent sans solution de formation en voie professionnelle. Ils doivent trouver d’autres solutions : accepter des formations éloignées de leur domicile, changer de projet, se diriger vers l’apprentissage ou encore s’inscrire dans le privé. Les élèves de Troisième, faute de places peuvent se retrouver en seconde générale et technologique. L’écart entre les attendus et leur niveau scolaire est tel que le risque de décrocher est réel. Faute de places et de moyens, l’élève risque de ne pas pouvoir se réorienter vers un parcours de réussite en voie professionnelle.
Solutions et perspectives pour lutter contre l’augmentation des difficultés scolaires
Avec les gouvernements successifs, les fausses solutions imposées par le ministère s’appuient rarement sur les travaux des chercheurs en sociologie, en psychologie ou en sciences de l’éducation, qui préconisent le plus souvent la prise en compte individuelle de la difficulté scolaire en fonction de sa situation, de son histoire, de son environnement. Ils mettent en avant la nécessité d’améliorer les conditions d’enseignement avec l’augmentation du nombre de professionnel
les et la diminution du nombre d’élèves par classe pour chaque heure d’enseignement, et pour l’ensemble des disciplines. Regrouper et concentrer les élèves en difficulté dans des classes dites « homogènes » à effectifs réduits en mathématiques et en français est une fausse solution. Le tri des élèves dès le collège répond plus à des orientations politiques néolibérales dans une perspective adéquationniste formation-emploi vers les métiers dits « en tension » qui peinent à recruter vu les conditions de travail et les conditions de salaire. Est-ce le rôle de l’école d’exclure les plus fragiles pour les diriger vers des perspectives professionnelles précaires ?Le SNES-FSU défend une école inclusive émancipatrice. Il défend la professionnalité et l’expertise de chaque professionnel
le au sein de l’EN. N’externalisons pas la difficulté scolaire, un piège qui pourrait remettre en cause l’expertise professionnelle des enseignant es. Il faut continuer à exiger les moyens nécessaires pour offrir à l’ensemble de nos élèves les conditions d’enseignement et d’accompagnement pour une émancipation réelle de chaque élève. Le SNES-FSU milite pour un accès à une formation continue qui répond aux besoins réels des collègues.